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Filière Lait Bio
Le bio cherche une porte de secours

Baisse de la consommation, surproduction, hausse du prix du conventionnel, déconversions… La filière du lait bio n’a plus la cote. Une simple conjoncture ou un renversement majeur ?  

 

Les comptes sont toujours dans le vert. Mais pour combien de temps encore? Avec une offre bien supérieure à la demande, les éleveurs de lait bio convertis traversent une forte zone de turbulences. “La première année du Covid a été plutôt favorable à la demande bio mais celle-ci a commencé à baisser voici un an et demi, bien avant l’inflation. Or dans cette même période, la production a continué à augmenter”, rappelle Didier Désarménien, conseiller en production laitière bio à Seenovia Sarthe/Mayenne. Il s’agit donc de la première crise du bio puisque entre 2010 et 2021, le prix du lait bio n’ayant jamais cessé de croître alors que celui du conventionnel jouait au yo-yo. L’écart avait même atteint 140 euros /1000 litres entre les deux secteurs. Mais depuis deux ans, la tendance s’est inversée. Alors que prix du bio s’est stabilisé, celui du conventionnel a augmenté de 100 euros la tonne, faisant converger les deux courbes au printemps dernier. “En 2022, le prix a été de 476 euros/t, encore un bon montant. Mais avec les contraintes de notre cahier de charges, on n’accepte pas d’être payé au même niveau que le conventionnel”, souligne Guillaume Leroy, éleveur installé en bio depuis le 15 mai 2016 à Pruillé-le-Chétif. Le GAEC (SAU 200 ha, 120 vaches laitières) familial qu’il tient avec son frère Damien et ses parents a produit 730 000 litres l’an passé. “Le prix du conventionnel ne va plus baisser selon moi, poursuit Damien. Quand on s’est lancé, il était à 290 euros. Il est annoncé à 460 en moyenne pour cette année.”    

Des consommateurs qui se détournent vers d’autres appellations

“Lait de pâturage sans OGM”, “Lait collecté et conditionné en France”, “HVE”... les labels du secteur conventionnel ne manquent pas pour concurrencer le bio sur son propre terrain : les vertus de proximité, de santé et d’environnement. “ Sans que des études précises puissent l’étayer, il semble malgré tout que les produits d’origine locale ou certifiés séduisent de plus en plus de Français, observe Didier Désarménien. Le bio offre pourtant une garantie supplémentaire sur les pratiques avec un cahier des charges plus strict, notamment l’absence de produits phyto. Mais le prix fait sans doute la différence dans la période d’inflation actuelle, même si l’écart, sur certains produits, n’est pas aussi grand que ce que les gens pensent. ” Les ventes des produits bio auraient baissé de 5 à 10 % depuis un an.

Des efforts moins bien récompensés

Pour la conversion d’une exploitation en bio, il faut compter entre 18 mois et 24 mois. Les investissements ont été considérables pour la famille Leroy il y a six ans: “ Il fallait 12 m² d’exercice pour chaque vache. On a donc construit un nouveau bâtiment. Mais on ne le regrette pas car on a été bien aidé à l’installation et on a pu se doter d’un bon matériel robotique. ” Le choix du bio leur a permis d’atteindre une quasi autonomie alimentaire. Maïs, luzerne, mélanges céréaliers récoltés, prairies assurent 95 % de l’alimentation des vaches. Seul le soja était acheté mais même cette petite part avait un coût de moins en moins tenable: “On l’achetait 760 euros/t en 2016, il est désormais à 1400. Et on n’en trouve plus sur le marché, soupire Damien Leroy. On l’a remplacé par du colza.” Globalement, la tonne d’aliments en bio coûte trois fois plus chère qu’en conventionnel. ”En frais de mécanisation, en fuel, le bio est également plus gourmand car il y a davantage de désherbage”, ajoute le jeune éleveur.      

Un avenir incertain

Après un fort taux d’augmentation en 2021 (environ + 12 %), la tendance des conversions est à l’arrêt. “Les laiteries ont arrêté d’appuyer les éleveurs convertis en bio il y a un an et demi, sauf pour des jeunes qui s’installent en bio mais cela très marginal. La production devrait donc arrêter de croître”, prédit l’expert de Seenovia. Désormais des laiteries incitent même à la déconversion, payant le lait conventionnel au prix du bio. Face à la difficulté à écouler les stocks, Lactalis a déclassé jusqu’à 40% du lait bio. “Ce n’est pas encore l’hémorragie mais cela peut l’être en 2024 (1). Cette année, ce sera la dernière aide au maintien de la PAC. Si le prix du bio n’est pas suffisant, certains se poseront peut-être la question de la déconversion.” L’inquiétude touche aussi particulièrement Biolait, acteur majeur de la filière bio, lequel ne parvient plus à valoriser son lait et en appelle même à la solidarité auprès des consommateurs (2). Tous les groupes laitiers soutiennent malgré tout un maintien des prix: “Sodiaal devrait même malgré légèrement augmenter les prix en 2023 pour garder un écart de minimum 60 euros/t par rapport au conventionnel. “ Le groupe laitier, le GAEC du Bocage s’est vu déclasser 10 % de son lait en 2022. “Mais ils ont toujours tenu leurs tarifs depuis six ans, souligne Guillaume Leroy. Malgré tout, je suis sceptique sur l’avenir, je pense que la crise va durer. On a déjà stoppé le poulet bio. Si on arrêtait tout - c’est juste une hypothèse - on garderait notre système avec du pâturage. On n’a pas envie de voir nos vaches sur cinq hectares, à ne manger que du maïs. Et on n’a pas envie de retourner dans la spirale du passé avec ses contraintes d’engrais et de traitements. Sans oublier qu’à la fin du mois, il ne nous restait pas grand chose sur le bulletin de paie…” Le bio a donc bien des avantages, encore faut-il qu’il soit encore rémunérateur. “Le consommateur décidera de l’agriculture de demain”, pense l’éleveur pruilléen. Pour Didier Désarménien, la balle de match est aussi entre les mains des collecteurs-transformateurs: “Ils ont vocation à stimuler la consommation par des campagnes de promotion et de diversification.” 

Rodolphe Tréhet

(1) L’Agence Bio a comptabilisé 2173 arrêts fin août dernier, soit 3,7% des éleveurs bio. 

(2) En octobre, Biolait demandait un geste de solidarité aux Français en achetant au moins 6 litres de lait bio dans les mois suivants.

 

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